PLOS Biology
On janvier 21, 2022 by adminLes changements évolutifs de l’expression génétique sont-ils déterminés principalement par la sélection naturelle ou par des forces aléatoires ? Cela fait environ 150 ans que Charles Darwin a proposé que les organismes s’adaptent à leur environnement grâce au processus de sélection naturelle, et pourtant le débat fait toujours rage, notamment au niveau moléculaire. La sélection darwinienne a été remise en question en 1983 par la théorie neutre de l’évolution moléculaire de Kimura, qui soutient que la majorité des différences dans les séquences d’ADN (nucléotides) et de protéines (acides aminés) au sein d’une même espèce et entre espèces n’ont qu’un effet sélectif mineur, voire nul, et que ces différences résultent de processus essentiellement aléatoires. Les mutations au niveau des nucléotides se produisent de manière aléatoire et régulière. Certaines d’entre elles survivent à travers les générations, entraînant des changements évolutifs « fixes » entre les espèces. Deux mécanismes potentiels peuvent conduire à la fixation d’un changement particulier : la sélection naturelle, qui favorise les changements qui confèrent un avantage sélectif, et les événements stochastiques (aléatoires), tels que la dérive génétique (les fluctuations aléatoires des fréquences des génotypes qui se produisent de génération en génération dans les petites populations).
Les mutations de l’ADN peuvent conduire à des changements dans les niveaux d’expression des gènes, dont certains peuvent conférer un avantage sélectif à un organisme et donc être fixés par la sélection naturelle. Mais puisque la variation est produite au niveau du génotype, alors que l’on pense que la sélection opère en grande partie au niveau du phénotype (c’est-à-dire la manifestation physique du génotype), il est raisonnable de s’attendre à ce que la sélection soit moins apparente au niveau de la séquence d’ADN, et par extension, au niveau de l’expression des gènes. La technologie des puces à ADN a permis d’étudier systématiquement les niveaux d’expression de milliers de transcrits (les copies d’ARN de l’ADN qui sont traduites en séquences d’acides aminés) et de se demander si la plupart des changements d’expression génétique fixés au cours de l’évolution entre les espèces résultent de processus sélectifs ou stochastiques.
Pour étudier cette question, Philipp Khaitovich et ses collègues ont analysé les différences de transcriptome observées entre les espèces de primates et de souris, ainsi qu’entre diverses régions cérébrales au sein d’une espèce. L’équipe a commencé par analyser les niveaux d’expression de quelque 12 000 gènes dans le cortex préfrontal de divers primates, dont l’homme. Si les changements évolutifs sont dus au hasard et non à la sélection naturelle, ils s’accumuleront en fonction du temps plutôt qu’en fonction des changements physiques ou comportementaux de l’organisme. Et c’est ce que les auteurs ont trouvé : les changements dans l’expression des gènes parmi les espèces ont progressé de manière linéaire avec le temps, ce qui suggère que l’expression des gènes dans le cerveau des primates a évolué en grande partie à partir de processus aléatoires introduisant des changements sélectivement neutres, ou biologiquement insignifiants.
Selon la théorie de l’évolution neutre, les mêmes forces déterminent le taux d’évolution à la fois au sein des espèces et entre elles, car des processus aléatoires similaires sont à l’œuvre aux deux niveaux. Par conséquent, les gènes qui varient davantage au sein de l’espèce devraient être plus susceptibles de varier entre les espèces. En comparant les niveaux d’expression des gènes en fonction de leur variation au sein de l’espèce humaine, les auteurs ont montré que les gènes présentant une forte variation au sein de l’espèce humaine évoluaient beaucoup plus rapidement entre les espèces que les gènes présentant une faible variation au sein de l’espèce humaine. Les auteurs ont également comparé les changements observés dans les gènes à ceux observés dans les pseudogènes (gènes qui, au cours de l’évolution, acquièrent une mutation qui les rend non fonctionnels) et n’ont trouvé aucune différence significative entre les deux, ce qui suggère à nouveau que la plupart des changements d’expression n’ont aucune signification fonctionnelle.
Bien que leur analyse ne puisse pas exclure un rôle de la sélection naturelle, tous les résultats sont cohérents avec un modèle neutre d’évolution du transcriptome. Cela signifie que la majorité des différences d’expression génique au sein d’une même espèce et entre espèces ne sont pas des adaptations fonctionnelles mais sélectivement neutres et que nous ne pourrons pas expliquer les différences entre espèces en nous basant sur la variation de l’expression génique en général.
En plus d’examiner les différences d’expression génique dans un tissu particulier entre espèces, les auteurs abordent également l’évolution des différents tissus au sein d’une espèce. Le cerveau humain est composé de régions qui diffèrent par leur fonction et leur histologie (structure microscopique). Chacune de ces régions a acquis une différence fonctionnelle ou histologique qui l’a séparée de ses régions sœurs à un moment donné de notre évolution. Les auteurs montrent que l’ampleur des changements entre les régions est en corrélation avec les temps de divergence des tissus estimés par d’autres méthodes. Si cette découverte s’applique à d’autres tissus à l’intérieur et à l’extérieur du cerveau, elle pourrait fournir une méthode pour reconstruire l’évolution des tissus au sein d’une espèce.
Laisser un commentaire