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On janvier 8, 2022 by adminBiographie
Cette biographie porte sur Argand, l’homme dont le nom est connu essentiellement de tous ceux qui ont étudié les mathématiques à travers le » diagramme d’Argand » pour les nombres complexes. Précisons dès le début de cette biographie que les prénoms « Jean Robert » et les dates de naissance et de décès donnés ci-dessus ont peu de chances d’être exacts. Ils font référence à une personne réelle, mais il est peu probable que cette personne soit l’auteur du « diagramme d’Argand ». Les informations suivantes sur Jean Robert Argand sont devenues, probablement à tort, une partie standard de la biographie de l’homme qui a inventé le « diagramme d’Argand ».
Jean-Robert Argand était un comptable et un teneur de livres à Paris qui n’était qu’un mathématicien amateur. On sait peu de choses sur son parcours et son éducation. On sait cependant que son père était Jacques Argand et sa mère Eves Canac. En plus de sa date de naissance, on connaît la date de son baptême, le 22 juillet 1768. Parmi les quelques autres faits connus de sa vie, on trouve quelques informations sur ses enfants. Son fils est né à Paris et a continué à y vivre, tandis que sa fille, Jeanne-Françoise-Dorothée- Marie-Elizabeth Argand, a épousé Félix Bousquet et ils ont vécu à Stuttgart.
Si cette information a peu de chances d’être vraie, il serait peut-être utile à ce stade de comprendre d’où elle vient. Jules Hoüel a publié un ouvrage en quatre volumes intitulé Théorie Élémentaire des Quantités Complexes Ⓣ. Avant que Hoüel ne publie le volume 4 en 1874, il a décidé d’essayer de trouver des informations biographiques sur Argand. Il savait qu’Ami Argand (1750-1803), qui avait inventé des instruments et vécu un certain temps à Paris, était né à Genève. Cela a dû faire penser à Hoüel que l’inventeur du diagramme d’Argand était peut-être né à Genève. Il a donc demandé à ses collègues de Genève s’ils pouvaient trouver des détails biographiques sur Argand. Les détails sur Jean-Robert Argand que nous avons présentés ci-dessus sont le résultat de la demande de Hoüel, bien que ceux qui ont donné l’information aient exprimé des doutes quant à l’identité du bon Argand. Malgré les doutes, ces informations ont été considérées comme définitives jusqu’à la fin des années 1990, lorsque les recherches de Gert Schubring ont abouti à l’affirmation suivante : :-
… ces quelques données connues semblent être douteuses.
L’argument de Schubring est basé principalement sur le fait qu’il n’y a essentiellement aucune preuve suggérant que la biographie standard d’Argand pourrait être correcte. Il dispose également de quelques arguments qui suggèrent que cette « biographie standard » est fausse. Le premier est que Legendre, qui semble avoir rencontré Argand, le décrit comme un « jeune homme ». Si Argand était Jean Robert Argand, il avait 38 ans lorsqu’il a rencontré Legendre et il était peu probable qu’il mérite cette description. Un autre élément qui suggère qu’Argand n’est pas Jean Robert Argand est que Jean Robert Argand est un comptable et un teneur de livres alors que, d’après ses écrits, Argand montre qu’il est probablement un technicien expert dans l’industrie horlogère.
Argand est célèbre pour son interprétation géométrique des nombres complexes où iii est interprété comme une rotation de 90°. Le concept du module d’un nombre complexe est également dû à Argand, mais Cauchy, qui a utilisé le terme plus tard, est généralement crédité comme l’initiateur de ce concept. Le diagramme d’Argand est enseigné à la plupart des élèves qui étudient les mathématiques et le nom d’Argand restera dans l’histoire des mathématiques grâce à ce concept important. Cependant, le fait que son nom soit associé à cette interprétation géométrique des nombres complexes n’est que le résultat d’une séquence d’événements plutôt étrange.
Le premier à publier cette interprétation géométrique des nombres complexes fut Caspar Wessel. L’idée apparaît dans le travail de Wessel en 1787 mais elle n’a pas été publiée jusqu’à ce que Wessel soumette un article à une réunion de l’Académie royale des sciences du Danemark le 10 mars 1797. L’article a été publié en 1799 mais n’a pas été remarqué par la communauté mathématique. Le papier de Wessel a été redécouvert en 1895 lorsque Christian Juel a attiré l’attention sur lui et, la même année, Sophus Lie a republié le papier de Wessel.
Ce n’est pas aussi surprenant que cela puisse paraître à première vue puisque Wessel était un géomètre. Cependant, Argand n’était pas non plus un mathématicien professionnel, donc quand il a produit son interprétation géométrique des nombres complexes en 1806, c’était dans un mémoire qu’il a peut-être publié en privé à ses propres frais, mais en fait il n’y a aucune preuve qu’il ait été publié. Tout ce qui est certain, c’est la déclaration d’Argand lui-même selon laquelle il a distribué en privé un très petit nombre de copies entre 1806 et 1813. Qu’il ait été publié ou non n’a pas d’importance car, comme il ne subsiste aucune preuve de sa publication, on aurait pu s’attendre à ce qu’il soit moins remarqué que l’œuvre de Wessel qui, après tout, a été publiée par l’Académie royale danoise. Peut-être encore plus surprenant, le nom d’Argand n’apparaissait même pas sur le mémoire, il était donc impossible d’identifier l’auteur.
La façon dont l’œuvre d’Argand a été connue est plutôt compliquée. Legendre a reçu une copie de l’œuvre, Essai sur une manière de représenter les quantités imaginaires dans les constructions géométriques Ⓣ d’Argand et il l’a envoyée à François Français le 2 novembre 1806 bien que ni l’un ni l’autre ne connaissait l’identité de l’auteur. Legendre écrit dans cette lettre:-
Il y a des gens qui cultivent la science avec un grand succès sans être connus et sans chercher la gloire. Je vis dernièrement un jeune homme qui me demanda de lire un ouvrage qu’il avait fait sur les nombres imaginaires ; il ne m’expliqua pas très bien son objet, mais il me fit comprendre qu’il regardait les quantités dites imaginaires comme aussi réelles que les autres, et qu’il les représentait par des lignes. J’ai d’abord montré à l’auteur que j’étais très-douteux, mais j’ai promis de lire son mémoire. J’ai trouvé contrairement à mon attente, des idées tout à fait originales, très bien présentées, soutenues par une connaissance assez profonde du calcul, et finalement qui aboutissent à des conséquences très exactes telles que la plupart des formules de trigonométrie, le théorème de Cotes, etc. Voici une esquisse de cet ouvrage qui peut vous intéresser et qui vous permettra de juger du reste. … Je ne donne ici qu’une petite partie de ses idées, mais vous vous rattraperez, et peut-être trouverez-vous, comme moi, qu’elles sont assez originales pour mériter l’attention. Pour le reste, je vous laisse simplement comme objet de curiosité et je ne me défendrai pas.
Après la mort de François Français en 1810, son frère Jacques Français travailla sur ses papiers et il découvrit parmi eux le petit mémoire d’Argand. En septembre 1813, Jacques Français publie l’article Nouveaux principes de Géométrie de position, et interprétation des symboles imaginaires Ⓣ dans lequel il donne une représentation géométrique des nombres complexes, avec des applications intéressantes, basée sur les idées d’Argand. Jacques Français aurait pu facilement revendiquer ces idées pour lui-même, mais il a fait tout le contraire. Il termina son article en disant que l’idée était basée sur le travail d’un mathématicien inconnu et il demanda que le mathématicien se fasse connaître afin de recevoir le crédit de ses idées:-
Je dois … par justice déclarer que la substance de ces nouvelles idées ne m’appartient pas. Je les ai trouvées dans une lettre de M Legendre à mon défunt frère François Joseph Français, 1768-1810, dans laquelle ce grand mathématicien lui fait part (comme chose qui lui a été communiquée, et comme objet de pure curiosité) de la substance de mes 2ème et 3ème définitions, de mon 1er théorème, et du 3ème corollaire de mon 2ème théorème . J’espère que la publicité que je donne aux résultats auxquels je suis parvenu pourra conduire à faire connaître le premier auteur de ces idées, et à mettre en lumière les travaux qu’il a lui-même effectués sur ce sujet.
L’article de Jacques Français parut dans la revue Annales de mathématiques de Gergonne et Argand répondit à la demande de Jacques Français en reconnaissant qu’il en était l’auteur et en soumettant aux Annales de mathématiques une version légèrement modifiée de son travail original Essai sur une manière de représenter les quantités imaginaires dans les constructions géométriques Ⓣ, avec quelques applications nouvelles. Rien de tel qu’un argument pour porter quelque chose à l’attention du monde et c’est exactement ce qui s’est passé ensuite. Une discussion vigoureuse entre Jacques Français, Argand et Servois eut lieu dans les pages du Journal de Gergonne. Dans cette correspondance, Jacques Français et Argand plaident en faveur de la validité de la représentation géométrique, tandis que Servois soutient que les nombres complexes doivent être traités à l’aide de l’algèbre pure.
On aurait pu s’attendre à ce qu’Argand n’apporte aucune autre contribution aux mathématiques. Cependant, ce n’est pas le cas et, bien qu’on se souviendra toujours de lui pour le diagramme d’Argand, son meilleur travail est sur le théorème fondamental de l’algèbre et pour cela il a reçu peu de crédit. Il a donné une belle preuve (avec de petites lacunes) du théorème fondamental de l’algèbre dans son ouvrage de 1806, et de nouveau lorsqu’il a publié ses résultats dans le Journal de Gergonne en 1813. Argand a certainement été le premier à énoncer le théorème dans le cas où les coefficients étaient des nombres complexes. Petrova, dans , discute des premières preuves du théorème fondamental et remarque qu’Argand a donné une forme presque moderne de la preuve qui a été oubliée après sa deuxième publication en 1813.
Après 1813, Argand a atteint un profil plus élevé dans le monde mathématique. Il a publié huit autres articles, tous dans le Journal de Gergonne, entre 1813 et 1816. La plupart d’entre eux sont basés sur son mémoire original ou commentent des articles publiés par d’autres mathématiciens. Sa dernière publication portait sur les combinaisons où il utilisait la notation (m,n)(m,n)(m,n) pour les combinaisons de nnn objets choisis parmi mmm objets.
In Jones résume l’œuvre d’Argand comme suit:-
Argand était un homme au passé inconnu, à la profession non mathématique, au contact incertain avec la littérature de son temps qui développa intuitivement une idée critique pour laquelle le moment était venu. Il l’a exploitée lui-même. La qualité et l’importance de son travail ont été reconnues par certains des génies de son temps, mais les ruptures de communication et la simultanéité approximative de développements similaires par d’autres travailleurs obligent l’historien à lui refuser le plein crédit des fruits du concept sur lequel il a travaillé.
Dans Gert Schubring, on tente de reconstituer les tentatives d’Argand pour intéresser Legendre à son interprétation géométrique:-
À l’automne 1806, Legendre a été approché par Argand, qui a essayé de lui exposer les résultats mineurs de son manuscrit dans une conversation directe. Legendre répondit par un scepticisme quant à la méthode et à ses applications. En partant, Argand incite Legendre à lire son manuscrit. Legendre n’avait pas retenu le nom de cet homme et supposait que le manuscrit indiquerait le nom de son auteur. Quand Argand est parti, Legendre s’est rendu compte que le papier n’indiquait ni l’adresse ni le nom de l’auteur. À la lecture de l’Éssai, Legendre remarque sa qualité, il attend une nouvelle visite de son auteur, mais celui-ci ne réapparaît pas. Afin de mettre un terme à sa propre implication dans ces conceptions, il rédigea le rapport à François Français dans la lettre du 2 novembre 1806. Legendre ayant fermement demandé à ne pas être importuné par des discussions sur cet article, ni l’aîné, ni plus tard le cadet Français n’osèrent l’interroger sur cet article et son auteur. D’autre part, Argand – apparemment un homme timide – s’abstint de publier son article, en raison de la réaction désintéressée et sceptique de Legendre. Seule la réception tout à fait indirecte de ses idées par l’intermédiaire des frères Français incita Argand à organiser une impression ultérieure où il s’arrangea pour que la date de sa composition soit inscrite sur la page de titre.
Argand devait être à Paris en 1806 lorsqu’il rencontra Legendre et il était certainement à Paris en 1813 car il donne une adresse parisienne sur son article publié cette année-là.
Nous devons ajouter une dernière note à cette biographie, forcément assez peu satisfaisante, d’Argand. Ses lettres et ses travaux publiés apparaissent tous sous le nom d’Argand, sans autre nom. Cela nous semble plus être un non-de-plume que le nom réel de l’auteur. Bien sûr, si cela est vrai, cela signifierait que toute tentative d’identifier Argand à l’avenir serait rendue encore plus difficile (probablement impossible).
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