La Cinquième République
On novembre 18, 2021 by adminDurant ses années d’exil auto-imposé, de Gaulle avait méprisé et tourné en dérision la Quatrième République et ses dirigeants. Il avait brièvement cherché à s’opposer au régime en organisant un parti gaulliste, mais il avait rapidement abandonné cette entreprise jugée futile. De retour au pouvoir, il adopte une ligne plus conciliante ; il invite un certain nombre de vieux politiciens à rejoindre son cabinet, mais, en nommant son disciple Michel Debré à la tête d’une commission chargée de rédiger une nouvelle constitution, de Gaulle s’assure que ses propres idées façonneront l’avenir. Ce projet, approuvé par référendum en septembre par 79 % des votes valides, incarne les conceptions de de Gaulle sur la manière dont la France doit être gouvernée. Le pouvoir exécutif est considérablement accru au détriment de l’Assemblée nationale. Le président de la République se voit conférer des pouvoirs beaucoup plus étendus : il est désormais choisi par un corps électoral de notables locaux et non plus par le Parlement, et il choisit le premier ministre (rebaptisé Premier ministre), qui reste responsable devant l’Assemblée nationale mais est moins soumis à ses caprices. Dans la nouvelle Assemblée nationale, élue en novembre, le plus grand nombre de sièges est remporté par un parti gaulliste nouvellement organisé, l’Union pour la Nouvelle République (UNR) ; les partis de gauche subissent des pertes importantes. En décembre, de Gaulle est élu président pour un mandat de sept ans et il nomme Debré comme premier Premier ministre. La Cinquième République entre en fonction le 8 janvier 1959, lorsque de Gaulle assume ses fonctions présidentielles et nomme un nouveau gouvernement.
Les problèmes les plus immédiats du nouveau président sont le conflit algérien et l’inflation causée par la guerre. Il s’attaqua à cette dernière, avec un succès considérable, en introduisant un programme de déflation et d’austérité. En ce qui concerne l’Algérie, il semble d’abord partager les vues de ceux dont le slogan est « Algérie française » ; mais, au fil du temps, il devient clair qu’il cherche un compromis qui maintiendrait une Algérie autonome vaguement liée à la France. Les dirigeants nationalistes algériens, cependant, ne sont pas intéressés par un compromis, tandis que les colons français irréductibles se tournent de plus en plus vers l’armée pour obtenir un soutien contre ce qu’ils commencent à appeler la trahison de de Gaulle. Une sédition ouverte s’ensuit en 1961, lorsqu’un groupe d’officiers supérieurs de l’armée, dirigé par le général Raoul Salan, forme l’Organisation de l’Armée Secrète (OAS) et tente d’organiser un coup d’État à Alger. L’insurrection échouant, l’OAS se tourne vers le terrorisme et plusieurs attentats sont perpétrés contre de Gaulle. Le président poursuit néanmoins sa recherche d’un accord avec les Algériens qui associe l’indépendance à des garanties pour la sécurité des colons français et de leurs biens. Un tel accord est finalement conclu et, lors d’un référendum (avril 1962), plus de 90 % des électeurs français, épuisés par la guerre, approuvent l’accord. Un exode de colons européens s’ensuit ; 750 000 réfugiés affluent en France. La charge de les absorber était lourde, mais l’économie française prospère a pu financer le processus malgré certaines tensions psychologiques.
La crise algérienne a accéléré le processus de décolonisation dans le reste de l’empire. Certaines concessions au sentiment nationaliste local avaient déjà été faites au cours des années 1950, et la nouvelle constitution de de Gaulle avait autorisé une autonomie accrue. Mais l’envie d’indépendance est irrésistible et, en 1961, la quasi-totalité des territoires français d’Afrique l’ont demandée et obtenue. Le gouvernement de De Gaulle réagit astucieusement en s’engageant dans un programme de soutien militaire et d’aide économique aux anciennes colonies ; la plupart des fonds de l’aide étrangère de la France leur sont destinés. Cela a encouragé l’émergence d’un bloc de nations francophones, qui a donné une plus grande résonance au rôle de la France dans les affaires mondiales.
L’accord algérien a apporté à la France un répit après 16 ans de guerres coloniales presque ininterrompues. Le Premier ministre Debré démissionne en 1962 et est remplacé par l’un des plus proches collaborateurs de de Gaulle, Georges Pompidou. Les dirigeants du parti commencent alors à parler d’une modification de la Constitution pour rétablir les pouvoirs de l’Assemblée nationale. Face à cette perspective, de Gaulle prend l’initiative de proposer sa propre révision constitutionnelle : elle prévoit l’élection populaire directe du président, ce qui accroît encore son autorité. Lorsque ses détracteurs dénoncent ce projet comme anticonstitutionnel, de Gaulle riposte en dissolvant l’assemblée et en procédant à son référendum constitutionnel. Le 28 octobre, 62 % des votants l’approuvent et, aux élections suivantes (novembre), l’UNR gaulliste obtient une nette majorité à l’Assemblée. Pompidou est reconduit dans ses fonctions de Premier ministre.
Lorsque le mandat présidentiel de de Gaulle prend fin en 1965, il annonce sa candidature à une nouvelle élection. Pour la première fois depuis 1848, le vote devait se faire au suffrage populaire direct. Les challengers de de Gaulle le contraignent à un second tour, et sa victoire sur le gauchiste modéré François Mitterrand au second tour par 55 à 45 est plus serrée que prévu, mais suffit à lui assurer sept années supplémentaires au pouvoir. Bien que le leadership de de Gaulle n’ait pas mis fin à la division politique en France, ses compatriotes ne peuvent ignorer les réalisations de son premier mandat. Non seulement il avait désengagé la France de l’Algérie sans produire une guerre civile chez lui, mais il pouvait également se prévaloir d’une croissance économique continue, d’une monnaie solide et d’une stabilité de gouvernement supérieure à ce qu’aucun citoyen français vivant n’avait connu.
Le milieu des années 1960 fut l’âge d’or de l’ère gaulliste, le président jouant le rôle de monarque élu et d’homme d’État mondial respecté. La France s’était bien adaptée à la perte de l’empire et à l’adhésion au Marché commun européen (plus tard la Communauté européenne), qui apportait au pays plus de bénéfices que de coûts. De Gaulle peut désormais se lancer dans une politique étrangère affirmée, destinée à restaurer ce qu’il appelle la grandeur de la France ; il peut s’offrir des luxes tels que bloquer l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun, éjecter les forces de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) de France, faire la leçon aux Américains sur leur implication au Vietnam et se rendre au Canada pour réclamer un « Québec libre ». Il poursuit l’initiative de la Quatrième République de développer à la fois l’énergie et les armes nucléaires – ce qu’on appelle la force de frappe. Sa politique étrangère bénéficiait d’un large soutien intérieur, et les Français semblaient également satisfaits de la prospérité et de l’ordre qui accompagnaient son règne paternaliste.
Sous la surface, cependant, un mécontentement fondamental persistait et fut révélé de façon saisissante par la crise qui éclata en mai 1968. Les troubles étudiants dans les universités de la région parisienne étaient sporadiques depuis un certain temps ; ils ont explosé le 3 mai, lorsqu’un rassemblement d’étudiants radicaux à la Sorbonne est devenu violent et a été dispersé par la police. Cet incident mineur se transforme rapidement en un affrontement majeur : des barricades sont érigées dans le Quartier latin, des combats de rue éclatent et la Sorbonne est occupée par les étudiants rebelles, qui la transforment en une immense commune. L’agitation s’étend aux autres universités, puis aux usines ; une vague de grèves sauvages déferle sur la France, impliquant finalement plusieurs millions de travailleurs et paralysant pratiquement le pays. Le Premier ministre Pompidou ordonne à la police d’évacuer le Quartier latin et se concentre sur les négociations avec les dirigeants syndicaux. Un accord prévoyant une amélioration des salaires et des conditions de travail a été conclu, mais il s’est effondré lorsque les travailleurs de base ont refusé de mettre fin à leur grève.
À la fin du mois de mai, diverses factions radicales ne cachaient plus leur intention de mener une véritable révolution qui ferait tomber la Cinquième République. De Gaulle semble incapable de faire face à la crise ou même d’en comprendre la nature. Les dirigeants communistes et syndicaux lui offrent cependant un répit ; ils s’opposent à tout nouveau bouleversement, craignant manifestement de perdre leurs partisans au profit de leurs rivaux plus extrémistes et anarchistes. En outre, de nombreux citoyens de la classe moyenne qui avaient initialement apprécié l’excitation perdirent leur enthousiasme en voyant les institutions établies se désintégrer sous leurs yeux.
De Gaulle, sentant le moment opportun, quitta soudainement Paris en hélicoptère le 29 mai. Les rumeurs se répandent qu’il est sur le point de démissionner. Au lieu de cela, il revient le lendemain avec la promesse d’un soutien armé, si nécessaire, de la part des commandants des troupes françaises d’occupation en Allemagne. Dans un discours radiophonique dramatique de quatre minutes, il fait appel aux partisans de la loi et de l’ordre et se présente comme la seule barrière à l’anarchie ou à la domination communiste. Les gaullistes loyaux et les citoyens nerveux se rallient à lui ; les factions activistes sont isolées lorsque les communistes refusent de se joindre à eux pour recourir à la force. L’affrontement passe de la rue aux urnes. De Gaulle dissout l’Assemblée nationale et, les 23 et 30 juin, les gaullistes remportent une victoire écrasante. L’Union des démocrates pour la République (ex-Unr), avec ses alliés, remporte les trois quarts des sièges.
Les répercussions de la crise de mai sont considérables. Le gouvernement, choqué par la profondeur et l’étendue du mécontentement, fit une série de concessions aux groupes protestataires. Les ouvriers obtiennent une augmentation de salaire et une amélioration de leurs conditions de travail ; l’Assemblée adopte un projet de réforme universitaire destiné à moderniser l’enseignement supérieur et à donner aux enseignants et aux étudiants la possibilité de participer à la gestion de leurs établissements. De Gaulle profite de l’occasion pour remanier son cabinet ; Pompidou est remplacé par Maurice Couve de Murville. De Gaulle pressent l’émergence de Pompidou comme un rival sérieux, car le Premier ministre a fait preuve de fermeté et de sang-froid pendant la crise, alors que le président a temporairement perdu ses repères. L’économie a également souffert de ces bouleversements et des mesures d’austérité ont été nécessaires pour stabiliser la situation.
Malgré un retour progressif à la normale, de Gaulle reste déconcerté et irrité par ce que les Français appellent les événements de mai. C’est peut-être pour réaffirmer son leadership qu’il propose un autre test dans les urnes : deux amendements constitutionnels à voter par référendum. Leur contenu est d’une importance secondaire, mais de Gaulle met son prestige en jeu en annonçant qu’il démissionnera si les amendements ne sont pas approuvés. Toutes les factions de l’opposition saisissent l’occasion de défier le président. Le 27 avril 1969, les amendements sont rejetés par 53 voix contre 47, et cette nuit-là, de Gaulle abandonne silencieusement son poste. Il retourne dans l’obscurité de sa propriété de campagne et se consacre à nouveau à la rédaction de ses mémoires. En 1970, juste avant son 80e anniversaire, il meurt d’une attaque massive. Sa disparition suscite un concert d’éloges presque mondial, même de la part de ceux qui avaient été jusqu’alors ses critiques les plus tenaces.
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